Sa mère interprétait la Mort du cygne enceinte, et enseignait la danse au Colisée de Bourail, là où Sthan a commencé la pratique à l’âge de onze ans. Il faut croire que la passion de la danse s’est transmise in utero et tout prédestinait ce passionné à réaliser une carrière prestigieuse. Voyageant dans le monde entier et devant un public au nombre de 5000 minimum, Sthan Kabar-Louet s’est livré pour nous au sujet de cette carrière qui l’a mené où on le connaît aujourd’hui. Entre paillettes et déconvenues, le danseur de talent revient sur son parcours et sur ce qui l’a amené jusqu’ici, tant bien que mal.
Les prémices d’une longue carrière
C’est en 1993 que tout commence pour Sthan. Cette année-là, un inspecteur de la danse du Ministère arrive en Nouvelle-Calédonie, invité par les professeurs de danse, dans le but de régulariser l’enseignement de la danse. Force est de constater le talent indéniable de Sthan, il lui recommande de quitter le caillou pour faire carrière. Déjà ambitieux et la tête pleine de rêves, le jeune danseur choisit de rejoindre le Conservatoire de danse d’Avignon, aujourd’hui devenu le Conservatoire du Grand Avignon, pour une audition. Sélectionné, il entame alors un cursus danse-études en internat pendant deux ans. Le mouvement dans la peau, la danse dans l’âme, il décide d’arrêter ses études à la fin de ces deux premières années pour enclencher un cursus semi-professionnel et ne se consacrer qu’à sa grande passion. Conscient de ce que ça implique, en termes de certifications et de diplôme, il se jette dans l’inconnu et prend le risque de ne pas trouver de travail ensuite. La concurrence dans le domaine est déjà assez forte, et sans diplôme, il n’espère pas pouvoir se reconvertir. Mais la flamme est trop importante et le feu de la danse s’est bien trop installé dans son cœur.
Un Calédonien à l’ascension prestigieuse
Pendant son cursus à Avignon, et de l’autre côté de la frontière, en Suisse, se déroule une audition pour intégrer la très prestigieuse école-atelier Rudra Béjart Lausanne de Maurice Béjart à l’origine de la Fondation éponyme.
Dès le départ, rien n’est gagné. Cette école accueille chaque année dix garçons et dix filles parmi plus de quatre-cents candidats venus du monde entier. Elle propose un cursus de deux ans avec une formation pluridisciplinaire et pluriculturelle. Les étudiants se voient enseigner la danse à plein temps (classique, moderne, etc.), mais aussi le chant, le théâtre et une technique de très haut niveau. Ceux qui sont recrutés ont ensuite deux options : soit ils sont engagés dans la compagnie du très célèbre chorégraphe pour pallier un désistement, soit ils devront passer des auditions dans les autres formations de danse. Sthan se lance alors dans une audition qui durera plus de quatre heures, au cours de laquelle les candidats sont mis à rude épreuve. Maurice Béjart aimait mettre en valeur la personnalité de ses danseurs. Et pour ça, il choisit ses postulants en fonction de critères qu’on ne soupçonnerait pas.
L’audition commence fort et annonce la couleur puisque les quelque deux-cents compétiteurs se présentent dans une vaste salle. Devant les professeurs et le directeur de l’école qui participent au recrutement, ils doivent se lever à tour de rôle et se placer au bout de l’immense studio pour crier haut et fort la motivation qui les anime à rejoindre l’école et ce qu’eux, danseurs, peuvent lui apporter.
Un exercice particulièrement difficile, puisqu’en plus de parler de soi, de trouver les mots juste là où l’erreur n’est plus permise, ils doivent exposer le tout face aux cent quatre-vingt-dix-neuf autres garçons. L’audition se complète avec des tests techniques tout aussi complexes à choisir et à réaliser. Lors de cette évaluation, chaque candidat doit arriver avec une variation de son choix. Mais cette dernière doit définir la personnalité et la qualité du danseur. Une décision délicate et une préparation particulièrement stressante pour ce semi-professionnel qui a déjà tant donné pour sa passion. Plus l’audition avance, plus les élèves sont écartés. Et lorsque le test de personnalité arrive, ils ne sont alors plus que cinquante. À l’issue de l’audition, il ne reste que les 10 garçons sélectionnés pour intégrer l’école. Et cette audition redémarre pour choisir les 10 filles. À 18 ans, Sthan se retrouve élève de l’établissement d’enseignement de Maurice Béjart, pour son plus grand bonheur. Il commence ainsi un cursus de deux ans au sein de la prestigieuse école.Après un an au sein de la structure, un garçon de la compagnie de M. Béjart se blesse. Maurice, demande que Sthan le remplace du haut de sa seule année d’apprentissage. Un talent reconnu par le maître qui offre à Sthan la chance de rejoindre sa compagnie. Cinq ans seulement après avoir quitté Bourail, le Calédonien se retrouve au sein d’une prestigieuse compagnie qui le fera voyager dans le monde entier. À ce moment-là, on parle de représentations au Palais des sports, au Palais des Congrès de Paris, au théâtre de Shanghai, à l’Hérode Atticus d’Athènes ou encore à l’amphithéâtre de Vaison-la-Romaine. Ce ne sont pas moins de cinq mille spectateurs qui viennent s’éblouir devant ces ballets magnifiques.
Il vit alors au rythme des spectacles durant lesquelles il se voit confier des rôles d’improvisation. Il nous livrera d’ailleurs une anecdote qui l’a marqué, celle de devoir improviser un rôle en moins de cinq heures devant cinq mille personnes, suite à la blessure d’un des danseurs de la troupe. Dans ce spectacle, Maurice cite un texte de Léopold Senghore et Sthan réalise alors une improvisation en duo avec son mentor.
Un souvenir mémorable où il explique se sentir à sa place dans la compagnie et ce, pour la première fois.Et son ascension ne s’arrête plus. C’est lors d’un ultime ballet que Sthan prend véritablement conscience de son talent et de la valeur de sa place aux yeux du chorégraphe élevé à l’ordre du Soleil levant par Hirohito, empereur du Japon. À cette époque, l’élu d’Académie des beaux-arts française en 1994 lui confie un rôle de création. Mais durant les entraînements tout ne se passe pas comme prévu. Celui qu’on admire, mais qu’on craint, n’est pas content du travail réalisé et Sthan se sent hors champ, à côté de ce qu’on lui demande. Le ballet doit avoir lieu quoi qu’il arrive et ils y vont quoiqu’il en coûte. Pendant les répétitions, même constat, et c’est avec angoisse et appréhension que Sthan voit Maurice les yeux remplis d’insatisfaction et de désillusion face à son travail. Mais le show doit continuer et Sthan exécute sa prestation sur scène malgré tout. De retour en coulisses, Sthan sent que malheureusement sa performance n’a toujours pas été à la hauteur. Pour lui, c’est la fin. À tel point qu’en croisant son mentor, il préfère éviter le conflit, quasiment certain qu’il vient de le décevoir. Il esquive la discussion et ne reçoit un appel que le lendemain matin de la part de Mr Bejart qui, contre toute attente, le couvre d’éloges et de félicitations sur la prouesse de la veille.
Après un mois de travail acharné qui ne convenait pas jusqu’à la, Sthan a prouvé son talent par sa persévérance et sa capacité à réussir quoi qu’il arrive. Son aventure continue au cœur de cette compagnie qui créa sa carrière, et influencera le management de ses spectacles.
De retour aux sources
Après 12 ans hors du territoire, Sthan revient en Nouvelle-Calédonie avec trois danseurs solistes de la compagnie Béjart pour réaliser un spectacle au Centre Culturel Tjibaou. Il ne repartira pas de la région. Entre deux cafés, il nous confie qu’au-delà des paillettes et de la notoriété de son mentor, cette place demande une parfaite maîtrise de la technique et une excellence hors norme. Les répétitions sont intenses et l’entraînement physique épuise le corps. Ayant commencé à danser très jeune, Sthan veut laisser place à la créativité. Il veut développer sa propre gestuelle. Malheureusement il n’a pas été accueilli sur le caillou comme il l’espérait et admettra qu’il est « rapidement redescendu de son nuage ». Les Calédoniens ne connaissent pas toujours Maurice Béjart et ce parcours, aussi prestigieux soit-il, n’impressionne personne.
C’est une grosse frustration pour le danseur qui a tout donné pour cette carrière réussie grâce à un travail acharné. Mais contre toute attente, une force, lui permet d’avancer, celle de son public. Il nous expliquera fièrement que lors de son premier spectacle local, le public est réceptif et la salle est pleine.
Karbal Nouméa Ballet est né
Encouragé par cette réussite, il décide à ce moment-là de former des danseurs locaux en s’attachant à mélanger les différentes cultures (océaniennes, mélanésiennes, etc.) à l’image de Maurice Béjart, en l’adaptant à son pays.
Les quatre années qui suivent sont particulièrement difficiles, même si les dix danseurs arrivent à atteindre un excellent niveau. Il alterne ses prestations avec ses danseurs et en solo. Le Karbal Nouméa Ballet se produira notamment au Tempo Danse Festival de Nouvelle-Zélande et aux Samoa américaines. Sthan n’en finit pas avec les tournées puisqu’il est invité en tant que chorégraphe lors d’un festival en Tanzanie.
En 2008, il admet être épuisé de se battre pour se faire reconnaître comme danseur professionnel sur le territoire. Rappelons-le, il n’a aucun diplôme, et il entame une longue période de remise en question sur sa vie, mais aussi sur son avenir professionnel. Mais accompagnée d’une bonne étoile et lors d’une représentation aux Samoa américaines, Dewe Gorodey, élue à la culture au Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, est présente et apporte son soutien à Sthan dans son aventure. Une porte s’ouvre enfin pour lui.
Cette même année, il participe en tant que chorégraphe à la cérémonie d’ouverture du jubilé de Christian Karembeu en présence du comité des Jeux du Pacifique de 2011 qui voit son travail et qui repère le talent du danseur. Pascale Bastien-Thiry, la présidente des Jeux du Pacifique, lui propose alors la responsabilité de la cérémonie de clôture. Il travaille assidûment et assure tous les fronts pendant deux ans et demi avec près de trois-cents artistes, en plus de la gestion de projet, de la gestion financière et administrative, de la sécurité, de la logistique et de la confection des décors. Une mission qu’il prend très à cœur. Pendant cette préparation et en parallèle, le Conservatoire de musique de Nouvelle-Calédonie, et sous l’impulsion de Pascal Vittori, membre du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, le contacte dans le cadre de la réalisation d’une étude de faisabilité pour le lancement d’une filière danse publique sur le territoire. Cette étude va durer huit mois et sera validée devant les membres du conseil d’administration du conservatoire.
À l’issue de la clôture des Jeux du Pacifique de 2011, Sthan se voit alors confier la direction du secteur danse de Nouvelle-Calédonie en 2012. Mais il entend bien entériner l’expérience qu’il a acquise jusque-là et se lance dans la validation de son Diplôme d’État de professeur de danse classique, mais aussi, le Saint Graal, son Certificat d’aptitude. Équivalent d’un master 4, ce danseur sans diplôme qui s’est consacré à sa passion, toute sa vie voit un accomplissement et une homologation du travail et des compromis qu’il a dû faire pour réussir, et ce, depuis ses 11 ans. Il démissionne alors de son poste au conservatoire en 2015, juste après sa fabuleuse représentation de Casse-Noisette et décide de mettre ses compétences à son propre service en créant son école de danse.
En 2016 naîtra celle qu’on connaît : L’Avant-Scène Centre de Danse Sthan Kabar-Louet.
C’est une révélation. Il peut enfin manager ses projets personnels et créer ses propres chorégraphies. Il enseigne la danse classique, la danse moderne et organise ses cycles dès quatre ans et jusqu’aux adultes en suivant le schéma pédagogique du Ministère comme il l’a appris lors de son Certificat d’Aptitude. Il s’entoure de cinq professeurs dont sa mère, qui, rappelons-le, est à l’origine de cette passion dévorante.
Aujourd’hui son école propose des niveaux débutants, amateurs et avancés. Il accompagne ses élèves dans les techniques professionnelles, mais s’attache à ne pas les obliger à devenir eux-mêmes professionnels. Complétant ses cours avec la présentation de spectacles liés à la culture générale pour leur donner accès au répertoire classique et moderne, il invite chaque année des danseurs internationaux qui proposent des masterclass à ses élèves. Une aubaine pour ses jeunes danseurs qui ont alors l’occasion de travailler avec des professionnels du monde entier.
Après un parcours riche, mais tumultueux, le danseur a trouvé sa voie et s’épanouit dans son école en créant et en transmettant.
L’esprit gorgé de projet, il ne compte pas s’arrêter là. En plus du spectacle d’école en octobre 2023 et de la préparation d’un ballet de répertoire prévu pour 2024, le professeur envisage de programmer un spectacle international dont il ne dévoile pas encore le contenu. N’hésitez pas à suivre sa page Facebook et à vous rendre régulièrement sur son site internet où il dévoilera toutes les informations.
Il est fan de lasagnes. Son film préféré, qui n’en est pas un, est Bach dansé par le Grupo Corpo, une compagnie brésilienne qu’il affectionne particulièrement. Il écoute du classique bien sûr, mais aussi Muse et déteste le Jazz. Son temps libre, il le passe avec Uno, son cheval avec qui il fait des concours. Si vous ne le voyez pas en Nouvelle-Calédonie, allez donc regarder du côté de l’Espagne ou du Canada, ses deux pays préférés !
💻 http://www.avant-scene.info/
📍8 rue Kervistin, Motor Pool, Nouméa
📲Facebook : L’Avant-Scène Centre de Danse Sthan Kabar-Louet
© Clotilde Richalet Szuch, Peter Tandt et Delphine Mayeure