La peinture comme moyen d'expression
Calédonienne de souche, souriante et mystérieuse, Sophie admet avoir toujours eu des difficultés à s’exprimer oralement. Elle vit et se confronte à des émotions parfois intenses, parfois impalpables sans réussir à les comprendre et à les formuler. Grâce à la peinture, l’artiste dépeint avec sensation, ressenti, et avec l’intime conviction de devoir passer un message. En se laissant guider, la plupart du temps, elle comprend finalement ce qu’elle tente d’exprimer. Parfois non. Mais quoi qu’il arrive, une histoire est créée et le temps fera germer la graine du message à comprendre. Finalement pour elle, c’est ça le plus important.
Destin ou véritable voie à suivre, Sophie n’a pas six ans lorsqu’elle s’inspire de la passion de sa sœur pour le dessin afin de se lancer dans une activité. Passe-temps qui finalement lui permettra de comprendre qu’elle n’était pas obligée de poser les mots là où sa voix n’y arrivait pas.
Un coup de crayon après l’autre, elle invente des histoires, raconte des événements, crée des personnages et se laisse guider au travers de son imagination sans limites.
Au fil des années et des expériences, l’artiste a fait confiance à son ressenti et à sa vibration pour appréhender et comprendre le monde qui l’entoure et le partager à ceux qui souhaitent l’entendre.
Je ne pose pas de mots sur mes émotions, je les dessine
Une femme haute en couleur
À l’âge de 17 ans, Sophie veut en faire son métier. Elle n’est pas à l’aise avec le milieu scolaire et se confronte aux difficultés d’intégration que connaissent parfois les enfants qui n’entrent pas dans le cadre. Sophie, ce qu’elle veut, c’est peindre. Elle réalise alors sa première exposition collective à la galerie Galéria de Nouméa.
Femme à la fois solitaire et sociable, elle a besoin de se retrouver seule pour se ressourcer tout comme elle a besoin de l’échange avec l’autre pour s’enrichir. Cette femme entière refuse de se diluer et exige de se voir et d’accepter ce qu’elle possède de plus intense. Toujours en quête de spiritualité, elle a foi en Dieu ou en tout cas en ce qu’il représente sous sa forme la plus universelle : l’amour. Pour autant, elle n’hésite pas à se confronter à la noirceur et à la folie des personnes qu’elle rencontre, intéressée par la vie palpitante et parfois déroutée de ceux qui, désarçonnés, partageraient leur histoire. Femme assumée, Sophie est un tout. Et cette sincérité qu’elle a avec elle-même, elle l’a aussi avec son entourage. Des liens forts et sans filtres qui lui permettent d’accomplir son objectif de vie et ce qu’elle a de plus précieux : des relations épanouies, en confiance et emplies d’amour.
“La seule chose qui m’intéresse dans la vie, c’est que les gens soient vrais. Je préfère quelqu’un de méchant et de vrai que quelqu’un de politiquement correct et faux.”
Artiste hétéroclite
Pendant sa carrière, Sophie a coécrit un conte de Noël calédonien Les cadeaux de Lucas et a illustré le livre pour enfants Naomie est en colère aux éditions De Bas en Haut, une maison d’édition créée avec sa belle-sœur en 2014.
Mais son plus grand défi remonte à 2019. Aline Blondé, enseignante, lui propose le pari fou de créer leur troupe Les exploratrices de l’instant avec pour vocation de mêler les arts. Cette année-là, un spectacle inspiré du poème Le grand Carré de Paul Bergèse qui conte l’histoire de la nature, mettant en scène le combat d’un arbre centenaire contre l’homme, armé de technologie. Mélange d’art plastique, de danse, de musique, c’est un voyage poétique et visuel entre réalité et imaginaire qui enchante autant qu’il appelle à une prise de conscience des dangers qui menacent notre monde. Création du décor, des costumes, l’artiste peintre professionnelle relève le défi de confectionner des œuvres en 3 dimensions.
Une expérience extraordinaire où les deux amies proposent de casser les codes tout en proposant une adaptation d’œuvres les plus fidèles possible à l’histoire originale.
Stratification et chef-d’œuvre
Sophie a débuté avec l’aquarelle, cette matière constituée d’un mélange de pigments broyés et de gomme arabique qui n’a finalement pas trouvé grâce à ses yeux puisque cette technique nécessite d’être mise sous vitre et encadrée.
Après avoir longtemps cherché une solution pour y remédier, Sophie a décidé d’utiliser l’huile à sa façon. Elle la dilue au maximum et la superpose en fines couches pour réaliser un jeu de transparence. Et beaucoup de collages. Ses peintures sont spontanées et très souvent les histoires, les personnages, les tons et les couleurs défilent une à une pour divulguer son récit. Ces productions aussi appliquées soient-elles cachent pourtant une femme brouillonne qui se laisse emporter par les matières, les couleurs et tout ce que lui dicte son instinct pour raconter son récit. Une sorte de communion avec les énergies qui vibrent en elle pour créer l’œuvre finale et un moment intime qu’elle passe avec son tableau où rien d’autre ne compte. Et si toutefois la direction prise ne convient pas, la toile peut passer sous la douche. Ainsi, l’histoire recommence avec les mêmes bases mais avec une orientation différente.
“Je peins comme je raconte mes histoires. On la devine grâce à cette superposition qui se déroule sous nos yeux.”
Le courant artistique
J’aime beaucoup quand les humains parlent de leur vie sans l’enjoliver. Qu’ils parlent avec leurs tripes
Adolescente, ses peintures reflétaient surtout la quête d’identité, la sensualité avec des personnages très ambivalents, mi-homme, mi-femme, symbole d’une grande liberté. Peut-être celle de la jeunesse libre. Mais aujourd’hui, et depuis toujours, ses œuvres intègrent toujours la quête du sacré. Mais ce qui fait la signature de Sophie, c’est de transmettre la puissance des identités de chacun. À l’aide des corps de ses créatures contorsionnés tout droit sorties du néant, parfois humaines, parfois non, elle peint des évènements, des moments clés ou en tout cas des instants forts et marquants de son univers. Ces créatures, elles les dessinent depuis le début et elles l’aident à transmettre des messages forts qu’elle ne comprend pas toujours immédiatement. À l’instar d’une petite graine qui germe un jour dans l’imagination des néo propriétaires de ces œuvres et qui reviennent vers elle pour lui transmettre le déclic soudain du message à passer.
L’imagination, son inspiration
Amatrice de poèmes, d’histoires qui parlent de rédemption, de récits où elle se retrouve proche des humains et des personnages tourmentés qui vibrent de passion et d’intensité, Sophie se nourrit du prisme de ces émotions et de ces sentiments pour écrire ses histoires. Elles les digèrent, elle les apprivoise et elle les transmet. C’est un peu comme Geppetto et Pinocchio : elle crée son œuvre. Œuvre à laquelle, elle s’attache. Et le lien est parfois si fort, que la tristesse s’empare d’elle au moment de la quitter. Comme un livre ou une série durant lesquels nous nous attachons aux personnages. Sophie ressent la même chose à la fin d’une peinture accomplie dont elle devra se séparer un jour.
L’exposition à l’Art Factory lui a permis d’échanger avec les autres. Quinze ans après sa dernière exposition solitaire, l’expérience lui a redonné goût au partage de son travail. Présente pendant toute la durée de l’exposition, elle a échangé avec les autres sur des points de vue nouveaux, sur des perceptions qui lui permettent de découvrir d’autres facettes d’elle-même avec un regard qu’elle ne connaissait pas. Ces échanges intimes et personnels avec ceux qui sont venus à la rencontre de ses créatures et de celle qui les a dessinées sont bien plus riches que tout le reste.
Film que tu as adoré Alabama Monroe
Le dernier livre que tu as aimé Les monologues du Vagin d’Eve Ensler
Ton plat préféré Fruits de mer
Pays préféré Celui ou j’aimerais aller : le Maroc
Artiste peintre préféré Gustave Klint
Ton sport préféré La danse en soirée (rires)
Chanteur préféré Marcus Gad
© Clotilde Richalet Szuch