« C’est très bien qu’il y ait des français jaunes, bruns, noirs (issus de la diversité). Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une minorité, sinon la France ce n’est plus la France. Nous sommes avant tout un peuple européen de race blanche (notre identité française), de culture grecque et latine, de religion chrétienne (on est chez nous)». On lance ces mots-là, on n’y ajoute rien, on les placarde sur des écrans aveugles, ils se diffusent. On ne précise aucune référence, ni source. « Qu’on ne se raconte pas d’histoires, les musulmans, vous êtes allé les voir ? Avec leurs prières et leurs voiles ? vous voyez bien qu’ils ne sont pas français. L’intégration a échouée, essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment ils se sépareront de nouveau. »
Vous les entendez bien ? Cet enthousiasme ironique, cette verve qui utilise tous les niveaux de langue pour frapper, séduire, faire sourire, embrouiller les perspectives et emporter le morceau. Ils utilisent en maître les moyens de la rhétorique. Ils s’écoutent et s’invitent sur les plateaux de télés avec plaisir.
Mais une fois le sourire dissipé, si on a pris soin de noter, on reste interdit devant tant d’approximation, de mauvaise foi, d’aveuglement méprisant, et de virtuosité littéraire. Ce qui semble être une vision claire, qui retrouverait le fonds solide du bon sens, n’est qu’un propos de bistrot, lancé pour arracher l’acquiescement de qui écoute, emmêler la pensée, garder la parole. Huile et vinaigre ? mais qui donc est huile, qui donc est vinaigre, et pourquoi ces deux liquides immiscibles, alors que l’homme par définition se mélange infiniment ? Arabes et français ? Comme si l’on pouvait comparer deux catégories (seulement) dont les définitions ne sont en rien équivalentes, comme si elles étés fondés en nature, l’une et l’autre, définitivement.
Ils font sourire, ils sont pleins d’esprit, car le génie français se caractérise par l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? C’est tous les avantages de la croyance sans les inconvénients de la crédulité. C’est agir selon les lois strictes de la bêtise, en affectant de n’être pas dupe. C’est charmant, c’est souvent drôle, mais on n’en réchappe pas. L’esprit, c’est juste une façon de dissimuler l’ignorance. Ils se paient largement de mots, nos candidats aux élections biaisées. Ils utilisent ceux qui brillent et nous les lancent, on les recueille comme un trésor et c’est de la fausse monnaie. Si on parle de ressemblance, on est toujours entendu, tant la ressemblance est notre premier mode de pensée.
La race est une pensée inconsistante, qui repose sur notre avidité éperdue de ressemblance. Elle aspire à des justifications théoriques qu’elle ne trouvera pas, car elles n’existent pas. Mais cela indiffère, l’important est de laisser entendre. La race c’est un pet du corps social, la manifestation muette d’un corps malade de sa digestion. La race c’est pour amuser la galerie, pour occuper les gens avec leur identité, ce truc indéfinissable que l’on s’efforce de définir, on n’y parvient pas alors cela occupe. L’identité ça n’existe pas de façon fixe. Le but du FN n’est pas d’opérer un tri des citoyens selon leur pigmentation, le but du FN c’est l’illégalité. Ce dont ils rêvent, eux et leurs électeurs, c’est l’usage stupide et sans frein de la force, de façon que les plus dignes soient enfin sans entraves.
Et derrière, dessous, dans l’obscurité des coulisses, pendant que vous applaudissait à la poupée raciale, se jouent les vraies questions, qui sont toujours sociales. C’est comme ça qu’il se firent avoir, sans se douter de rien, ceux qui crurent au code couleur de la colonie.
Les pieds-noirs furent en petit ce que la France est maintenant, la France vieille repliée sur elle-même, affolée, contaminée en sa langue même par la pourriture coloniale.
Nous sentons bien qu’il nous manque quelque chose. Les Français cherchent leur force perdue, ils voudraient tellement l’exercer. Mais l’usage de la force est absurde car la nature du monde est liquide, plus on cogne, plus le monde durcit, plus on le frappe fort, plus il résiste, et si l’on frappe encore davantage, on s’y écrase. Notre force même produit la résistance. On peut, bien sûr, rêver de tout détruire. C’est l’aboutissement rêvé de la force.
La Nouvelle-Calédonie n’existe pas dans la France, elle n’existe que pour elle-même. La France elle aussi, n’existe que pour elle-même. Ceux qui vous diront le contraire vous mentent. On ne revient pas en arrière, nulle part. Ici ce ne sera jamais la France, ce n’est pas grave, ce serait bien que ce soit plus.
Quand est-ce que la Nouvelle-Calédonie aura sa propre constitution écrite par un comité de 1000 citoyens tirés au hasard puis rédigée avec l’aide d’un comité de 25 législateurs ? Avec des soumissions régulières au peuple sur les réseaux sociaux ? L’Islande est en train de faire exactement ça, demandons-leur le mode d’emploi.
Combien de temps encore faudra-t-il au peuple calédonien pour vivre dans le présent ? Pour comprendre qu’il est maître de son destin et qu’il ne doit compter que sur lui-même ? On ne change pas le passé, ni petit ni grand, ni douloureux ni exaltant.
La perfusion de l’état a assez durée, l’économie de comptoir doit être abolie comme les ententes commerciales, les kanak doivent s’éveiller au monde et assumer la modernité qu’il impose, les Français expatriés doivent avoir un statut légal, il faut en terminer avec le ressentiment qui empêche tout avancée.
La répartition des richesses dans un pays en développement ne doit pas être un sujet tabou, ni l’évasion fiscale, cela doit être contrôlé. Les rites et les lieux doivent s’ouvrir et rassembler au-delà des différences. Si personne ne prend ses responsabilités, c’est l’avenir de l’île qui s’effondrera par la force. Une force qui sera interne et nombriliste ou une force étrangère militaire, industrielle ou commerciale, anglo-saxonne ou chinoise, une force qui viendra détruire tout ce qui est beau ici sous le ciel.
Must 41 – Mars 2017