Chronique des Quartiers Sud

Ça va plutôt bien quand on regarde de loin. La mairie a décidé de faire des trottoirs rue Gabriel Laroque, c’est sûr que l’électorat aisé aime bien promener son chien, la baie de Tindu polluée depuis 20 ans peut bien attendre encore, les pauvres n’ont qu’à se baigner ailleurs.

Sur la promenade Pierre Vernier, c’est l’embouteillage des coureurs et des marcheurs. On se drogue au sport comme des hamsters dans une roue, les parkings débordent de bagnoles jusqu’à 20h. « J’ai couru 7km avec Nike sport et je me dépêche de publier ça sur mon Facebook ». C’est très bien, tu seras vieille, svelte et tu auras mal aux genoux. C’est fou le nombre de gens à la carrure d’un sandwich Viv’ qui font tout pour avoir l’air costauds.

Sur les hauteurs, les villas submergées de pièces vides regardent nonchalamment la mer. Avec 25 nœuds de vent de face en toute saison, il est déconseillé d’ouvrir la fenêtre. Nouméa c’est l’architecture et l’urbanisme du chaos, au premier coup d’œil les murs te crient « chacun pour sa gueule et l’anarchie partout ». Chaque quartier est un foutoir où les constructions sont sans rapport entre elles. On y trouve au hasard un immeuble digne d’une banlieue de Manille, une station essence, un magasin de prêt à porter, une villa coloniale… On dirait que les bâtiments ont été tirés au sort, merde t’as tiré la carte « station d’épuration » à Magenta. Les urbanistes doivent être dyslexiques.

Finalement on s’y habitue, c’est toujours aussi moche mais la verdure omniprésente sauve quelque peu ce staphylocoque urbain. À l’intérieur des logements, un détail ne trompe pas : chaque pièce est couverte de carrelage jusqu’au plafond. On habite des salles de bains géantes affublées de meubles balinais, vive le bon goût. La fête des couleurs et des matériaux bat son plein : cuisine turquoise pour façade orange vif, parquet exotique sur menuiseries PVC, poteaux aluminium et parement de fausses pierre, lambris plastique et deck kohu, comment peut-on dépenser autant d’argent aussi mal ?

Sur la route des baies, on voit le défilé des voitures le dimanche en fin d’après-midi, le nouméen s’affiche et observe les badauds. De l’Artillerie à Ngéa on vient se promener motorisé pour le plus grand plaisir olfactif des piétons.

Des petits vieux s’installent à la mise à l’eau de la Côte Blanche, ils regardent sortir les bateaux moteurs, espérant un éventuel accident ou quelques engueulades. Il y a du bon temps sur les terrains de pétanque de l’Anse Vata, c’est surement le seul endroit où l’on voit une mixité sociale entre différentes ethnies et différentes générations.

Sur la plage à côté, plusieurs mondes cohabitent en s’ignorant : les jeunes zoreilles en bikini, ne sachant pas qu’elles vont brûler même à l’indice 50, les jeunes calédoniens casquettes fluos, lunettes fluos, paroles fluos, les familles kanak à l’ombre et habillées jusque dans l’eau, les pagayeurs et autres planchistes, tous ces maniaques de sport nautique. Le jeu préféré des groupes de filles est de reluquer les gens pour les critiquer, à croire que la beauté les énerve.

Sur les allées, tous font la même ballade, «bonjour», «eh bonjour », «salut», «coucou», ici tout le monde connait tout le monde. Nouméa c’est la promiscuité urbaine sans le bénéfice de l’anonymat. Les semaines passent et se ressemblent, les bars sont retapés en moche, parfois on ne sait pas si c’est une boite de nuit ou une clinique de soin, en tout cas ça rend fou. Les terrasses des bars ont toutes les mêmes salons d’extérieurs en plastique noir, effet rotin, à croire que tout le monde se meuble dans des magasins de bricolage. Les débits de boisson ne désemplissent pas malgré les efforts des riverains. Les gens veulent habiter en ville avec le calme de la campagne, leur confort social serait d’avoir une agence bancaire en bas de chez eux.

Vers 19h, c’est la ruée sur les baies ou dans les bars tapas alentours. On y retrouve ses amis en fonction de son niveau d’alcoolémie et de finance, le Blanc-de-Blanc affronte la pinte d’Ambrée. Quelques lieux sont métissés mais dans la plupart des cas on range les gens en fonction de leur ethnie et de leur âge. S’il y a encore des cimetières d’éléphants, il vaut mieux avoir 25-30 ans et être couleur dentifrice pour obtenir la bienveillance des videurs.

Dans ces soirées chacun reconnait son style, il suffit d’un polo, d’un logo, d’un type de robe ou de chemise et vous savez d’où vient la personne. Les australiens parlent trop fort, les Japonais japonisent trop, les tocards portent des chemises trop grandes, les calédoniens des t-shirts trop serrés, les parisiens ne dansent trop pas. Le lendemain on compte les points, souvent de sutures.

Chez les boulangers ou les épiciers se recrée le melting-pot. La queue se compose de noctambules avinés, d’ascètes du short-lycra et de mamies chihuahua. Il y a le marché municipal, où l’on va boire un café imbuvable et s’acheter une conscience alimentaire de fruits frais. Là, à chaque heure correspond une typologie de client, quand il est tôt ce sont des calédoniens, des kanak ou des vieux, quand il est tard ce sont des métropolitains ou des fêtards à peine levés.

Tous les midis les restaurants font le plein, on mange parfois mieux dans un boui-boui chinois du centre-ville que dans des restaurants côtés. Le plus marrant c’est le service, absent. Un endroit qui réussirait à servir l’apéritif en moins de 20 minutes ferait fortune.

Nouméa est une ville de blancs, c’est une station balnéaire de droite ne ressemblant à rien de connu, une capitale provinciale, on y est assez coincé du cul mais il y fait bon vivre. Ici les différences socio-culturelles servent de frontières imaginaires, pourtant on s’y salue et on s’y parle plus qu’ailleurs. Dans les villes de même taille à travers le monde, il n’y a aucune relation entre les gens, aucune considération. Ici tant de choses à faire : on peut tourner en rond en ville, tourner en rond dans l’eau, tourner en rond sur un pétard, et c’est à chaque fois différent.

Le week-end, les barbecues s’allument et la sono envoie la musique, on entend les enfants dans les piscines, on voit les voiles remonter vers le sud, comme tout le monde se connait on partage les déjeuners et les fioles. Dans les ports c’est la valse des bateaux, des énormes monocoques ou catamarans toutes voiles dehors, des yachts, des plates et des semi-rigides. On s’en va à la pêche ou en plaisance, tirer un bord jusqu’à l’îlot Maître ou déjeuner sur un mouillage. En semaine c’est boulot-boulot, les heures de pointe, les gosses à 7h30 à l’école le matin, les bouchons sur Mageco et Belle-vie. Seulement 2 routes desservent cette agglomération de 180 000 habitants, là encore des urbanistes trisomiques ont frappé.

Pour le reste la vie culturelle est riche, la vie politique aussi (financièrement), les activités multiples et les loyers identiques à ceux de Paris. D’ailleurs, à Paris les ravalements de façades sont obligatoires tous les 10 ans, ce serait intéressant de faire ça ici. On pourrait aussi supprimer la pub de l’espace public, contrôler la qualité et la dimension des enseignes, ça nous changerait de la marée de 4×3 et de pubs sauvages qui nous gâchent la vie.

 

Au final ce qui me fait de la peine, c’est de voir que le seul modèle urbain prévalant est celui des « centre-commerciaux, ronds-points, banques et assurances ». Ce modèle a défiguré les villes et les campagnes de France. Quelle serait la volonté du peuple calédonien pour sa capitale ? D’ailleurs constitue-t-il un peuple ? Que propose-t-il comme solution urbaine en tant que peuple : rien. Ces derniers temps on voit quand même pas mal de travaux pour retaper les routes, la SAV, les évacuations et le mobilier urbain, preuve que ça arrive et que la Mairie y met du sien. Faudrait peut-être juste penser à repeindre vos façades avec des couleurs sympas, mettre un coup d’enduit et fracasser vos urbanistes. En discutant avec une calédonienne je l’entendais dire « moi j’ai honte de l’image que donne la ville aux gens qui viennent ici », je confirme, j’y vis, j’ai tous les jours les yeux qui saignent alors que c’est un endroit si beau.


 

Must #38 – Juin 2016

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